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Une rencontre avec Pierre Notte et Muriel Gaudin

Publié le - Mis à jour le 3 mars 2022

Pour le mois des Droits des Femmes à Boissy-Saint-Léger, la pièce de théâtre L’histoire d’une femme se jouera le vendredi 18 mars à 19h30 au théâtre Le Forum. Forte et engagée, elle dresse le portrait d’une femme sans nom qui résiste et s’oppose au conditionnement social, cherchant à comprendre comment ça marche, un homme. À […]

Pour le mois des Droits des Femmes à Boissy-Saint-Léger, la pièce de théâtre L’histoire d’une femme se jouera le vendredi 18 mars à 19h30 au théâtre Le Forum. Forte et engagée, elle dresse le portrait d’une femme sans nom qui résiste et s’oppose au conditionnement social, cherchant à comprendre comment ça marche, un homme.

À l’occasion de cette représentation, Pierre NOTTE (mise en scène et écriture) et Muriel Gaudin (interprétation) nous ont accordé une interview exclusive. Bonne lecture !

Pierre NOTTE Auteur, compositeur, metteur en scène et comédien.

Quelles sont vos inspirations ? (jeu, mise en scène, écriture….)

Première inspiration : la violence faite aux femmes à laquelle j’assiste depuis toujours, chaque jour, et dont j’ai tellement honte, en tant qu’homme. Puis un travail qui consiste avant tout à faire confiance en l’imaginaire du spectateur, à sa volonté d’inconfort, sa capacité et son envie de faire le travail lui-même : imaginer les lieux, les personnages, les situations… Et mettre en scène, c’est toujours une tentative de s’éloigner des influences pour aller inventer, autant que faire se peut, une autre forme, une autre manière de raconter l’histoire et de dire le monde… On fuit les influences et les inspirations…

Quel a été le processus d’écriture et les difficultés que vous avez pu rencontrer dans l’écriture du texte, notamment en tant qu’homme ?

C’est en tant qu’homme, porté par la honte d’être un homme dans un monde dominé par les hommes et leur violence, leur suprématie, leur condescendance, que j’ai écrit ce texte. Et porté ce projet avec Muriel. Je n’ai aucune difficulté à me projeter dans le corps d’une femme. La difficulté, c’est l’impuissance d’être un homme, lâche, démuni, face aux violences faites aux femmes, à la misogynie sournoise, maligne, veule, parfois inconsciente, mais intégrée depuis toujours, digérée. Comme un conditionnement lamentable, auquel on assiste encore, tous les jours, partout.

Outre la première scène, les faits abordés et racontés dans cette pièce sont-ils tirés de témoignages ou de scènes dont vous avez été le témoin ?

Oui, absolument. Toutes… D’abord un homme à vélo, qui passe vite, frôle une passante, et en profite pour lui donner une claque sur les fesses… La femme traverse la rue, elle vacille… Lui, il s’en va et disparaît en riant sur son vélo. Elle, elle s’effondre. Quand je veux l’aider à se relever, elle me rejette, car elle voit en moi un homme comme les autres, c’est-à-dire un ennemi. Je lui fais peur, elle crie. Et j’ai compris comment les hommes pouvaient soudain devenir les ennemis des femmes, des prédateurs. C’est ce qu’ils sont. J’assiste partout tout le temps, au théâtre et ailleurs, aux petites comme aux grandes agressions… J’ai voulu les observer, ces agressions, les étudier. J’ai compris que j’étais moi-même un phallocrate, un misogyne, un macho sans conscience, un homme ordinaire…

Pourquoi 23 personnages au début ? Le fait de passer de 23 dans le projet initial à 1 acteur représente-t-il des avantages et des inconvénients (lesquels ?) 

La pièce était écrite pour une femme, muette, plongée dans un monde d’hommes, tous différents : le passant, le corps médical, le professionnel, la famille, les amours, le sexe, les quidams. J’ai rencontré Muriel Gaudin, j’ai été frappé par sa voix, par sa force, sa violence… Sa volonté et son désir de porter avec moi un projet nous ont conduit à la réécriture du texte : un monologue pour elle seule. Dès lors, le projet n’a plus été que celui-ci : il ne saurait aujourd’hui devenir un autre, c’est pour elle, et avec elle, seule en scène, forcément ! Et s’il m’était donné de mettre en scène la pièce avec les vingt-trois hommes et une seule femme, pourquoi pas, cela ne pourrait à nouveau se faire qu’avec elle.

Parmi eux, l’un est un peu à part : le collégien. Quel est son statut ? 

Il est l’innocence, celui qui n’est pas encore un homme, mais qui pourrait le devenir. Tout le conditionne : le monde, la publicité, les médias, les réseaux, la famille, les études et le travail, la rue et le foyer, tout le pousse à devenir un homme comme les autres, un homme de pouvoir ou de lâcheté, un monstre ordinaire ou un assassin comme tout le monde. Mais il rencontre cette femme à temps, il est encore jeune, innocent, il est vierge, il n’est pas encore l’ennemi. Elle va l’accepter, et l’accompagner, il va l’accepter et se laisser porter. C’est une sorte d’amour pur, d’amour vrai, sans dépendance, sans sexe, sans échange, sans envie ni désir, sans volonté de pouvoir sur l’autre, sans domination ni influence, sans dépendance. C’est un truc gratuit d’accompagnement, il est l’espoir d’une génération qui sort des schémas pourris des ascendants. 

Le personnage principal est d’avantage silencieuse ou « parlée » qu’elle-même locutrice. Qu’avez-vous voulu pointer par cet axe d’écriture ?

C’était d’abord une évidence : le seul moyen qu’elle avait, cette femme, de répondre aux agressions parfois silencieuses, sous-entendues ou frontales des hommes, ultra souterraines ou ultra violentes, verbalisées ou non, c’était le silence. Elle refuse de jouer le jeu des mâles, de jouer au jeu de cette guerre pathétique et dont les victimes sont toujours les mêmes… Elle n’a pas à se positionner dans leur monde, elle ne veut plus répondre, elle oppose son silence. Pour autant, elle ne veut renoncer ni à vivre, ni à la sexualité, ni à sa liberté. Et elle veut surtout comprendre comment ça marche, les hommes… Alors elle étudie, elle fait des expériences, en silence… Elle s’extrait seulement des relations nocives, néfastes, et ça les rend fous ! Mais la pièce ne dit pas qu’elle a raison ou tort… 

Pourquoi avoir choisi Muriel Gaudin ?

Qui d’autre ? Le projet n’a de sens qu’avec elle. Il est écrit pour elle, porté par elle. C’est sa voix, son corps, sa force, sa manière d’investir son rôle, sa brûlure à elle, cette puissance inouïe que j’ai rencontrée en la rencontrant, qui m’a poussé à saisir ce projet, à le porter avec elle, et c’est elle qui nous a choisis, le texte, le projet, les idées, et moi.

Muriel GAUDIN, Comédienne, diplômée du diplôme d’Etat d’enseignement du théâtre

Avant de jouer dans cette pièce, connaissiez-vous déjà le travail de Pierre Notte ?

Oui ! j’avais lu et vu beaucoup de ses pièces. J’avais même déjà joué un de ses textes, Les couteaux dans le dos, que j’ai rejoué plus tard dans la mise en scène de Pierre.

Quelles sont vos inspirations ? (jeu, mise en scène, etc.)

J’ai commencé très tard à voir du théâtre. Et à en faire, plus tard encore, cela me terrorisait. Et je me souviens précisément de mes premières expériences de spectatrice, j’avais un sentiment de consolation, qu’une main se tendait entre les acteurs et le public, un lien à part. Je cherche ce lien encore. Et puis je pars du texte avant tout, je m’inspire de ceux que j’admire et je fais ma petite cuisine comme je peux !

Quelles sont les difficultés rencontrées dans le jeu (la multiplicité des personnages ? l’interprétation d’hommes ? etc.) ?

Il fallait faire attention à ne pas tomber dans la caricature. Pierre m’a rapidement guidée vers une interprétation qui suggère les personnages masculins. Ils ne doivent pas être des compositions, il faut arriver à les faire apparaître sans les incarner totalement. Les situations, leur parole définissent ces personnages. Il me fallait ensuite leur donner une énergie, une couleur, un mystère. Pour la multiplicité, nous avons fait des choix simples mais rigoureux qui nous permettent de ne pas perdre le spectateur, enfin je crois !

La bouteille d’eau constamment à la main…Y a-t-il une intention particulière ? 

Il faut demander au metteur en scène ! Il n’y a pas de message particulier je pense, mais une envie forte de dessiner le corps, les postures, grâce à ces objets et la tension qu’ils impliquent. Ensuite, chaque spectateur pourra y trouver sa propre signification, son propre sens.

Comment la pièce a-t-elle été reçue par le public, avec éventuellement une différence de réception hommes/femmes ou en fonction de l’âge par exemple ? 

Oui, elle est reçue très différemment. Le plus immédiat ce sont les rires, ils peuvent être très nombreux comme très discrets. Certains sont choqués, ou bouleversés, ou dérangés… mais je ne peux pas dire que ce soit dû à l’âge ou au genre, je pense que c’est un sujet très personnel.

Pourquoi cette pièce est-elle d’actualité ?

La question de la place de la femme dans notre société est un sujet primordial. Les avancées réalisées ces dernières années peuvent laisser croire que l’égalité hommes/femmes est acquise ou en passe de le devenir. Je crois qu’il faut aller regarder au-delà de cette surface. Pour ma part, j’ai réalisé avec ce travail, en jouant cette pièce, que je me suis souvent, et encore aujourd’hui, mise à une place définie par mon genre, sans même m’en rendre compte. Parce que je me pensais libre, loin des préjugés que j’avais intégrés malgré moi.

Pierre NOTTE, Muriel GAUDIN : leur vie 

Pierre NOTTE 

Auteur associé et rédacteur en chef au Théâtre du RondPoint, ses pièces ont été présentées dans les quatre coins du monde. Nommé à cinq reprises dans la catégorie « auteur » aux Molières, il a reçu de nombreux prix. C’est en 2017 qu’il écrit L’histoire d’une Femme, après avoir été témoin d’un harcèlement de rue. Écrite dans un premier temps pour 23 personnes, il l’a transformera en monologue, après avoir entendu pour la première fois la voix de Muriel Gaudin.

Muriel GAUDIN 

Muriel Gaudin commence sa formation théâtrale à l’École de Chaillot. Elle fera pendant 7 ans partie des Épis Noirs puis de la Cie Pascal Antonini durant 15 ans. À l’écran, on la voit dans des longs métrages, courts métrages et séries télévisées. À Boulogne, elle crée un atelier théâtre avec des sans-abri et anime des séances de cinéma pour les Restos du Cœur. Muriel Gaudin interprète depuis 2017 L’Histoire d’une femme, ainsi que Les Couteaux dans le dos et L’Homme qui dormait sous mon lit, pièces écrites et mises en scène par Pierre Notte.